Quête du sens, quiétude des sens

Un article de Pierre Blanc-Garin pour le CEECA Nouvelle-Aquitaine

La fidélisation et la motivation en entreprise

Une fois la prise de conscience effective sur les enjeux de la fidélisation que nous vous présentions dans la première partie de cet article, et plus important encore sur les enjeux macroéconomiques et structurels qu’ils soulèvent présentés dans la deuxième partie, que faire pour pérenniser cette fidélité nouvellement acquise par les entreprises chez les jeunes générations ? Nous tentons aujourd’hui d’y répondre.

III/ FIDELISATION, ET APRES ?

A. Ne quittez pas ! L’ownership

Dans sa chronique « Ne quittez pas ! », Maurice Thévenet aborde le sujet de la grande démission avec le livre d’Annie Duke « The power of knowing went to walk away » (Le pouvoir de savoir quand partir). Tandis que l’auteure fait le choix du quit, en valorisant la démission et développant des théories concrètes pour y parvenir, M. Thévenet reprend tous ses arguments à l’inverse pour nous montrer comment retenir ses employés et contrer le quit.

Premier constat fait par les deux auteurs : « Il serait plus difficile de quitter quand on a l’impression de posséder beaucoup, de s’être approprié une situation ». Par cette affirmation, un rapprochement est fait avec le concept d’aversion au risque ou à l’incertitude.

Appliquer ce concept à l’entreprise, c’est encourager les managers à renforcer l’ownership, l’implication et le sentiment d’appartenance de l’employé au travail collectif, en somme développer l’appropriation de ses missions. Mais la tâche est complexe, et le mariage de la motivation et des compétences dans un travail autonome peut sembler utopique. Comment dès lors contribuer à l’implication de son équipe ?

En premier lieu, il est nécessaire que dans l’entreprise « chacune et chacun sache situer son activité professionnelle dans le cadre d’un projet collectif (s’il existe) ». Chaque collaborateur doit alors comprendre en quoi et comment ses missions individuelles participent au bien collectif de l’entreprise, et comment elles servent à faire avancer cette dernière. C’est tous les enjeux des managers de veiller à ce que chacun y participe, car « il n’est pas possible d’accepter que quelqu’un ne sache précisément comment son activité personnelle, ses tâches, son poste, contribuent au projet collectif ».

Ensuite, une solution simple et pourtant trop souvent ignorée ou oubliée par les managers selon l’auteur, « questionner les personnes sur leur travail, obtenir leurs idées, leur vision […] simplement dans l’idée d’une relation humaine banale, celle où l’on montre de l’intérêt à l’autre ». Cette idée s’inspire du concept de langage performatif qui indique que c’est le verbe, par son énonciation dans la phrase, qui exécute l’action qu’il exprime. Ici, parler de son travail le rend plus concret, autant pour le manager que pour le managé, et participe en cela à renforcer l’appropriation de celui-ci par ce dernier.

B. Ne quittez pas ! La gnaque

Second constat, un certain manque de gnaque serait à déplorer en entreprise, qui serait une source manquante ou du moins tarie de la motivation des employés. Être fidèle, accrocheur, tenace, voilà la recette de la gnaque. Alors qu’Annie Duke déplore parfois ses effets délétères lorsque celle-ci nous pousse à poursuivre un effort inutile, Maurice Thévenet lui voit celle-ci comme la clé manquante au management pour débloquer l’envie aux personnes de s’investir et donc de « rendre leur départ plus difficile ». Il développe alors « l’idée qu’en bon management, il s’agit peut-être maintenant d’aller dans le sens de tout ce qui peut aider les personnes à développer une gnaque ».

Parti pris radical, l’auteur énumère « trois illusions dont il faudrait se défaire », les concepts même que nous avons énumérés dans la première partie de cet article, illustrant ainsi à merveille toute la complexité de la question. Mais combattre ces illusions ne signifie pas oublier tous les principes que nous avons traités dans cet article, mais signifie plutôt de rationaliser les idées qu’elles défendent et de trouver des solutions concrètes à des problèmes parfois abstraits.

La première illusion selon M. Thévenet serait de vouloir répondre précisément aux attentes des employés sur les grandes problématiques qui secouent le monde d’aujourd’hui, dans sa globalité, et qui ne seraient aux finales incomparables avec leurs problématiques quotidiennes, plus modestes mais plus réalistes. Pour les résoudre, l’auteur nous explique que « la question n’est donc pas de savoir comment s’ajuster à des attentes ou à un air du temps trop difficile à saisir, mais plutôt de faire en sorte qu’ils découvrent à travailler dans l’entreprise des choses qu’ils n’imaginaient même pas ». Autrement dit, à l’entreprise et au manager de s’inscrire dans une culture positive et de proposer une expérience de travail valorisante pour les employés.

« La seconde illusion c’est de vouloir à tout prix développer les personnes ou les talents ». S’arrêter ici dans la citation marquerait un constat sinon inquiétant, au moins provocateur à l’heure où le développement personnel et le coaching individuel sont placés en religion dans les entreprises. Mais avant de sacrifier sur l’autel du consulting GPEC ou autre audit RH, l’auteur nous rassure : « on peut les aider à se développer […] c’est l’art de la pédagogie au sens premier du terme ». Comme pour tous les constats présentés précédemment, c’est la nuance qui prime donc. La solution ne serait-elle pas alors un savant mélange de formation et d’accompagnement ?

Dans l’article « Pénurie de talents : trois pistes pour y remédier » des Echos, les auteurs exhortent notamment à « mieux accompagner l’évolution des salariés ». Pour y parvenir, il faudrait alors « partir des compétences des salariés pour définir les rôles susceptibles de répondre aux besoins futurs de l’entreprise, plutôt que de partir des rôles et de chercher la perle rare en externe ». Double bénéfice : faire confiance aux salariés de l’entreprise c’est faire confiance en leur connaissance et en leur expérience dans l’entreprise, et c’est donc également les fidéliser en les valorisant.

Toujours selon l’article, « le budget consacré à la formation a, en moyenne, doublé, voire triplé ces derniers mois [dans les grandes entreprises] ». Résultat ? « Les entreprises gérant le mieux leurs talents ont un rendement total pour l’actionnaire trois fois supérieur à celui de leurs concurrentes directes ». Aider la personne à identifier ses besoins d’évolution puis l’accompagner dans l’acquisition de ces derniers par exemple… Les fondements même du CEECA en somme.

Enfin, la troisième illusion pour M. Thévenet résiderait purement et simplement dans notre insistance à « vouloir donner du sens ». Le sens qui est le fondement même de la fidélisation des jeunes générations, selon elle ! A cela l’auteur répond, du point de vue du management : « La difficulté c’est d’aider les personnes à découvrir du sens dans ce qu’ils font ». Nombre de divergences, de points de vue propres à chacun, d’illusions ou de revendications. Et pourtant, un dénominateur commun.

De toutes les questions traitées aujourd’hui, de la fidélisation à la quête du sens, c’est une réponse commune qu’il apparait opportune d’apporter. On l’a vu, ce n’est pas tant vouloir donner du sens aux projets de l’entreprise qui importe que d’aider l’employé à en trouver d’abord dans ses propres missions. Cela renforce par ailleurs la dimension collective de l’accomplissement des personnes dans leur travail, en rendant leur travail personnel utile aux projets de l’entreprise et inversement.

L’AVENIR

Pour conclure, Maurice Thévenet s’interrogent sur « les questions pour l’avenir » dans son article « Le salarié est roi », toujours dans le même corpus de chroniques cité tout au long de cet article.

En premier lieu, l’auteur se demande si ce phénomène va durer, et si oui pour combien de temps. Après tout, « pourquoi ne pas imaginer que le sens du travail, la conscience professionnelle ou la performance ne reviennent pas en force dans le travail ? » s’interroge M. Thévenet.

Dans un monde ultracapitaliste dans lequel l’urgence climatique n’est plus une chimère des « gardes-verts » mais une réalité tangible, repenser le travail parait aussi légitime que repenser la consommation et la production à une échelle macroéconomique. La question ne serait donc pas combien de temps va durer ce phénomène mais plutôt jusqu’à quand pouvons-nous l’ignorer avant qu’il ne soit trop tard.

La réponse réside peut-être dans la dernière question posée : « Face aux enjeux écologiques, économiques et géopolitiques, ne serait-il pas temps que l’entreprise, l’administration, l’association, deviennent enfin roi ou reine ? »

Au prétendu égoïsme de la génération Z, qui au travers de ses revendications ne justifierait au final que son apathie professionnelle, l’auteur répond que « ce ne serait plus alors l’une ou l’autre des parties prenantes qu’il serait bon de séduire ou servir ; c’est plutôt un intérêt collectif, celui de l’institution pour le présent et l’avenir et plus largement le bien commun qui pourrait être couronné ».

Avec son article sur la Génération infidèle, les Echos START répond ainsi : « Toutes ces pratiques de fidélisation sont appelées à se généraliser, au risque de se couper de la génération Z, ce qui serait d’autant plus problématique qu’elle constitue un élément moteur du renouvellement des compétences et de la transformation digitale des entreprises ».

Se couper de la génération Z c’est se couper des générations futures. Et se couper des générations futures, c’est se couper du futur lui-même.

La fidélisation des jeunes générations en entreprise : Partie 3 – Et après ?, CEECA